vendredi 7 juin 2013

Quelles sont les technologies qui vont vraiment changer le Monde ?


Au cours de ces dernières semaines, trois instituts réputés, Mc Kinsey, le MIT et le Forum économique mondial (WEF) ont publié coup sur coup leurs analyses prospectives respectives des technologies de rupture pour les années à venir. La comparaison de ces trois « palmarès » technologiques est riche d’enseignements et fait apparaître certains points de convergence mais également des différences d’appréciations notables quant à l’impact économique réel d’un certain nombre d’innovations scientifiques et techniques.

Le célèbre cabinet McKinsey a publié début mai une étude intitulée « Les technologies de rupture qui vont transformer la vie et l’économie » (McKinsey et Nytimes).

Dans cette analyse, McKinsey a sélectionné 12 « ruptures » technologiques qui doivent répondre simultanément à quatre critères : la rapidité de diffusion dans l’économie, l’étendue de l’impact économique en terme de salariés concernés, l’effet en termes de productivité et enfin l’impact innovant transversal que cette rupture entraîne dans les autres secteurs scientifiques et industriels.

Il est important de souligner que, selon McKinsey, ce sont les technologies numériques qui vont se tailler la part du lion au cours des prochaines années, en termes d’impact économique et social, puisqu’elles représentent à elles seules 7 des 12 technologies retenues.

Ces technologies numériques sont également celles qui devraient, de loin, permettre les ruptures économiques les plus importantes et entraîner le plus de création de richesse.

À cet égard, il est intéressant de constater la grande disparité d’impact économique entre les différentes technologies retenues par ce classement : selon McKinsey, la technologie classée en tête, l’Internet mobile, aura un potentiel économique aussi considérable à lui seul (10,8 trillions de dollars) que les effets économiques réunis des quatre technologies suivantes dans le classement, à savoir l'automatisation de la connaissance (5,2 trillions de dollars), les objets connectés (2,7 trillions de dollars), l’informatique en nuages (1,7 trillion de dollars) et la robotique avancée (1,7 trillion de dollars).

Quant aux sept dernières technologies de ce classement, les véhicules autonomes (0,2 trillion de dollars), la génomique nouvelle génération (0,7 trillion de dollars), le stockage de l'énergie (0,1 trillion de dollars), l'impression 3D (0,2 trillion de dollars), les matériaux avancés (0,2 trillion de dollars), l'exploration pétrolière avancée (0,1 trillion de dollars), et enfin les énergies renouvelables (0,2 trillion de dollars), on constate que l’addition de leur impact économique global atteint à peine l’impact économique de la robotique avancée et est six fois moins important que l’impact de la technologie phare, l’Internet mobile.

Cette grande disparité d’impact s’explique si l’on prend en considération le nombre de personnes qui vont rapidement être concernées dans leurs vies professionnelle et personnelle par la diffusion de ces différentes innovations.

Or, McKinsey considère que ce sont les trois premières technologies numériques de son classement, l’Internet mobile, l’automatisation de la connaissance et l’Internet des objets qui, démultipliant leurs effets réciproques, auront les conséquences les plus radicales sur la productivité et l’efficacité de l’économie mondiale dans son ensemble.

D’une manière un peu curieuse et à mon sens qui demandera à être vérifiée, la robotique avancée, bien qu’elle soit reconnue par cette étude comme une technologie à très fort potentiel économique et industriel, n’arrive qu’en cinquième position de ce classement.

On peut pourtant se demander, compte tenu du vieillissement démographique mondial sans précédent qui va se produire au cours des 30 prochaines années, et des immenses besoins médicaux sanitaires et sociaux qui en résulteront, si la robotique intelligente n’aura pas un impact au moins aussi important d’ici une génération, que l’Internet mobile ou la connaissance automatique.

De la même façon, on reste un peu dubitatif quant à la faible place accordée par ce classement aux ruptures technologiques liées aux matériaux intelligents et à la production, au transport et au stockage de l’énergie.

Il semble en effet assez probable que des révolutions technologiques majeures vont avoir lieu avant une dizaine d’années dans le domaine clé de l’énergie, à commencer par l’exploitation industrielle des hydrates de méthane sous-marin et de l’hydrogène naturel et par l’arrivée de cellules solaires organiques à haut rendement et à faible coût, autant de bouleversements technologiques dont l’impact économique global pourrait être bien plus important que celui prévu par l’étude de McKinsey.

Par ailleurs, certains économistes observent que depuis 20 ans, l’essentiel de la valeur créée par les technologies numériques s’est traduit par une baisse du prix des produits et non par une forte augmentation des revenus. Il n’est donc pas du tout certain que les technologies numériques restent à ce point dominantes, comme moteur de la croissance économique, par rapport à d’autres domaines d’innovation tout aussi essentiels pour la planète et ses habitants, comme les biotechnologies, les technologies de l’énergie et les technologies « vertes », liées à la restauration et à la valorisation de l’environnement.

Si l’on compare à présent le classement technologique de McKinsey avec ceux que viennent de publier le MIT (Technology Review), et le Forum économique mondial (Forum), on constate qu’un rééquilibrage très important s’opère en faveur des technologies énergétiques, des biotechnologies et enfin des technologies environnementales.

Dans le domaine énergétique, les classements du MIT et du Forum économique mondial convergent pour reconnaître comme technologies de rupture la nano-électronique organique qui devrait permettre de réaliser des cellules solaires photovoltaïques souples, peu coûteuses et très efficace en termes de rendement, ce qui bouleverserait évidemment la donne énergétique mondiale.

Autre domaine où des ruptures technologiques aux conséquences économiques majeures pourraient intervenir : la production de biocarburants à bilan carbone neutre et n’entrant pas en compétition avec les productions agricoles, qu’il s’agisse de carburants issus du bois ou produits à partir de culture industrielle d’algues marines.

Autre innovation dans le domaine de l’énergie considérée comme stratégique par ces deux instituts de recherche, les réseaux en grille, ou réseaux intelligents (smart grid), conçus pour gérer et intégrer l’ensemble des sources d’énergie renouvelable et capables de prévoir et d’ajuster en temps réel l’offre et la demande d’énergie.

Dans le domaine des biotechnologies, ces deux autres classements réhabilitent également certaines innovations scientifiques et techniques majeures, telles que la production d’aliments à haute valeur nutritive, grâce à l’utilisation de techniques génomiques permettant d’optimiser la production de protéines par un contrôle génétique très fin des productions agricoles.

La nanomédecine et les nanomédicaments sont également reconnus par ces deux classements en tant qu’innovation de rupture majeure, susceptible d’apporter des solutions thérapeutiques efficaces et personnalisées dans le traitement des grandes pathologies tueuses (cancer, maladies cardio-vasculaires et maladies neurodégénératives) et d’être à l’origine d’une nouvelle révolution médicale.

Enfin, ces deux classements réintègrent les technologies « vertes » et notamment celles qui permettent la dépollution, la purification et le dessalement de l’eau grâce aux énergies renouvelables ou à l’utilisation de bactéries génétiquement modifiées.

Même si personne ne conteste l’importance et l’impact de la révolution numérique en termes économiques, sociaux et culturels, il faut se garder de céder à un « réductionnisme numérique » et se souvenir que la longue histoire scientifique, technologique et économique des sociétés humaines a été régulièrement bouleversée par des découvertes et inventions totalement inattendues et qui n’étaient pas déductibles des technologies dominantes à une époque donnée.

On peut cependant s’étonner qu’aucune de ces trois études prospectives, sensées déceler les ruptures technologiques majeures qui s’annoncent, n’évoque dans ses prévisions certains sauts scientifiques qui sont à présent passés de l’ordre du possible à celui du probable, comme l’ordinateur quantique, l’optogénétique ou la fusion thermonucléaire contrôlée.

Il y a quelques jours, Google et la NASA ont ainsi annoncé qu’ils venaient de faire l’acquisition d’un ordinateur quantique fabriqué par la société canadienne D Wave (Scientific American et Nytimes).

Selon les premiers tests réalisés, cette machine serait capable de résoudre la plupart des problèmes 11 000 fois plus rapidement que les superordinateurs conventionnels. Ce gain de rapidité pourrait même atteindre un facteur 50 000 pour les calculs les plus complexes. La machine actuelle travaille sur 512 Qbits mais la NASA envisage de porter cette puissance déjà phénoménale à 2048 Qbits.

Si les performances de cet ordinateur quantique se confirment, c’est l’ensemble de notre civilisation qui s’en trouvera radicalement bouleversée. En effet, il deviendra possible avec des machines d’une telle puissance d’effectuer des calculs, modélisations et simulations qui sont aujourd’hui totalement hors de notre portée. En biologie par exemple, on pourra simuler l’évolution des structures et des phénomènes les plus complexes. La conception de nouvelles molécules thérapeutiques s’en trouvera révolutionnée.

De telles machines permettront également des pas de géant en matière de compréhension et de prévision du climat ou encore de conception de nouveaux matériaux aux propriétés inédites.

Si ces machines quantiques tiennent leurs promesses, l’intelligence artificielle partagée et accessible à tous deviendra une réalité et il sera alors possible d’exploiter avec une efficacité à peine concevable aujourd’hui les immenses ressources cognitives disponibles sur l’Internet.

L’optogénétique, pour sa part, est à la fois une discipline et une technologie apparues en 2005. Elle consiste à commander et à contrôler, grâce à des faisceaux lumineux de différentes longueurs d’onde, l’activité d’un groupe de cellules ou de certains gènes.

Cette technique a permis en quelques années de remarquables avancées dans la compréhension du fonctionnement de notre cerveau.

Il y a quelques semaines par exemple, des chercheurs de l’Université de Munich ont découvert, grâce à cette technique de stimulation lumineuse, que les ondes "lentes" de basse fréquence produites par notre cerveau au cours du sommeil profond, étaient produites par un petit groupe très localisé de neurones, situés dans le cortex cérébral (Voir Cell).

Mais l’optogénétique ouvre également une voie entièrement nouvelle en tant qu’outil thérapeutique : en 2010, des chercheurs américains de l’Université Duke ont notamment monté que l’optogénétique permettait de combattre efficacement l’état dépressif lié au stress chez la souris.

En avril 2012, une autre équipe américaine de l’Université de Stanford, dirigée par Karl Deisseroth, le « père » de l’optogénétique, a publié un article qui montre toutes les potentialités thérapeutiques de cette technique encore balbutiante dans le traitement de nombreuses maladies neurologiques ou psychiques, dépression, Parkinson, autisme… (Stanford).

Enfin, comment ne pas clore ce bref panorama des technologies de rupture sans évoquer la fusion thermonucléaire contrôlée qui doit être soigneusement distinguée de l’ensemble des réacteurs nucléaires actuels qui utilisent un autre principe, la fission nucléaire.

Cette technologie consiste à provoquer, comme cela se passe naturellement dans le soleil, la fusion d’isotopes d’hydrogène (le deutérium et le tritium), soit par confinement magnétique (dans des tokamaks qui tiennent leur nom de leurs origines russes), soit par confinement inertiel, en utilisant des lasers extrêmement puissants.

Lorsque cette réaction de fusion a lieu, elle dégage une quantité d’énergie phénoménale, de l’ordre de 4 millions de fois supérieure, à quantité égale de matière utilisée, à celle que dégage le gaz ou le charbon ! En outre, cette technologie n’entraîne pas de déchets radioactifs à longue vie et n’émet pas de gaz à effet de serre.

Depuis 50 ans, les progrès dans la maîtrise de cette technologie ont été considérables et aujourd’hui les scientifiques espèrent atteindre dans quelques années l’équilibre énergétique, c’est-à-dire produire autant d’énergie par cette technique qu’il en a fallu pour générer cette réaction de fusion.

C’est tout l’enjeu du réacteur expérimental ITER, en construction dans le sud de la France à Cadarache. Ce réacteur, fruit d’une coopération internationale, doit permettre d’atteindre d’ici 2030 une maîtrise suffisante de cette technologie pour envisager par ce moyen une production massive et propre d’électricité à partir des années 2040.

On le voit, il n’est pas facile de prédire quelles seront les ruptures technologiques qui vont vraiment bouleverser notre vie d’ici 20 à 30 ans et une chose est sûre : la plupart des prochaines révolutions techniques n’ont pas encore été inventées et nous surprendront !

Mais, ce que nous devons comprendre, comme le rappelle avec force un grand nombre de scientifiques de haut niveau, comme Serge Haroche, notre récent prix Nobel de physique, c’est qu’il ne faut pas tomber dans une conception purement « utilitariste » et économique de la recherche scientifique.

Si la recherche et l’innovation ne peuvent évidemment s’affranchir des contraintes économiques et des exigences de rentabilité et de compétitivité, il est néanmoins indispensable, pour ne pas dire vital pour notre avenir, de continuer à prévoir des structures, projets et programmes spécifiquement dédiés à la recherche fondamentale et théorique de très haut niveau, s’inscrivant sur le long terme.

Ce type de recherche constitue en effet un investissement qui s’avère toujours gagnant car les grands sauts scientifiques conceptuels et théoriques finissent toujours par provoquer des ruptures technologiques majeures, comme le montre l’exemple de la physique quantique ou celui de la génétique.

Si notre vieux continent souhaite conserver son niveau de développement économique et social et son excellence scientifique, il doit d’urgence mettre en œuvre des grands projets de recherche, au financement garanti, non sur trois ou cinq ans, mais sur 10 ou 15 ans. C’est à ce prix que nous parviendrons à retrouver notre capacité d’innovation et notre compétitivité économique face aux nouvelles puissances émergentes qui, chaque jour, nous prennent des marchés et des emplois et affirment leurs ambitions mondiales.

Nous avons tous les atouts économiques, scientifiques et culturels pour gagner cette bataille de l’intelligence mais nous devons apprendre à nous dégager de la tyrannie de l’instant et de la rentabilité à court terme et savoir regarder plus large et plus loin pour relever les immenses défis qui nous attendent.